Le bras de fer entre Barack Obama et le Congrès étasunien a inspiré mardi 2 août une tribune de Jacques Attali dans les colonnes du site Slate.fr dont il préside le Conseil de surveillance. Un article dont la conclusion, en forme de réflexion, est pour le moins étonnante…
Celui qui fut l’un des amis et conseillers les plus proches de François Mitterrand ne s’y exprime pas sur le fond de ce sac de nœuds politico-économique aux accents médiatiques hitchcockiens – il faut bien vendre du papier ou du temps d’antenne ! –, mais sur le blocage institutionnel qui est résulté de la cohabitation à la sauce yankee née des élections de mid-term et de la conquête de la Chambre des Représentants par les Républicains. Avec à la clé, cette réflexion en forme de conseil : les Étasuniens seraient bien avisés de s’inspirer du système politique français. Et cela pour une raison évidente selon Jacques Attali, éminent et avisé politologue autoproclamé : ce système est le meilleur !
Jacques Attali est un homme intelligent. Certes, il lui arrive, de temps à autre, de proférer des énormités libérales peu en rapport avec les valeurs de gauche dont il se prétendait naguère un fervent défenseur. La faute sans doute à ce fameux « pragmatisme » mis en avant par tous ceux qui, en paroles ou en actes, portent atteinte aux droits sociaux ou justifient le creusement des inégalités. Cela n’empêche pas l’intellectuel de tenir également des propos sensés et de livrer régulièrement des analyses pertinentes, sur Slate.fr ou dans les colonnes de L’Express sur tel ou tel aspect de la politique, non seulement hexagonale mais planétaire.
Passionné par la géopolitique et les questions financières, Jacques Attali ne pouvait rester indifférent à la pièce qui s’est jouée à Washington autour de la dette étasunienne. Et s’il a sans aucun doute un avis sur la qualité du compromis intervenu in extremis, comme le soulignaient avec gourmandise les journalistes, entre Barack Obama et le Congrès, ce n’est pas sur ce point là qu’il a choisi de s’exprimer mardi mais sur le blocage institutionnel dont ont souffert les États-Unis dans cette affaire.
Un blocage bien réel, force est d’en convenir, et qui a montré au monde à quel point le Président du plus puissant pays de la planète pouvait se montrer démuni face à une opposition déterminée, en l’occurrence sous la virulente pression du Tea Party. La faute, constate Jacques Attali, à l’absence d’un Premier ministre, autrement d’un exécutif bicéphale à la française qui, en période de cohabitation, permet d’éviter tout bocage aux institutions, le Président étant contraint d’accepter les votes d’une Assemblée nationale en phase avec le Premier ministre issu des élections législatives. « S’il existait aujourd’hui un tel Premier Ministre aux Etats-Unis, la question du plafond de la dette ne se serait pas posée un seul instant : le Premier Ministre, républicain, aurait imposé sa solution dès le début de cette année ; le Président, démocrate, aurait alors solennellement expliqué aux médias que c’est une très mauvaise solution, espérant que l’échec d’un gouvernement républicain lui permette d’être réélu… » écrit Jacques Attali avant de conclure : « Si les Etats-Unis ne sont pas capables de passer à une solution à la française, ou au moins de retrouver la raison, on verra peu à peu le fédéralisme américain se défaire. »
Sans doute Jacques Attali a-t-il raison de soulever le problème étasunien. Est-il en revanche fondé à proposer comme alternative le modèle français ? On peut en douter. Car, depuis la première cohabitation entre François Mitterrand, Président, et Jacques Chirac, Premier ministre, notre pays a connu plusieurs épisodes de ce type, et l’esprit de la Ve république s’en est trouvé chamboulé. Et pour cause : ces périodes de cohabitation, plus ou moins longues, ont fait de la France une nation où, selon la conjoncture et l’humeur des électeurs, le Président endosse tantôt les habits d’un monarque puissant, tantôt ceux d’un homme politique réduit, pour l’essentiel, à un rôle mineur, excepté dans la direction des armées. On pourrait même connaître dans l’avenir un scénario encore plus cocasse, pour ne pas dire surréaliste : l’élection à la présidence d’un homme controversé – Nicolas Sarkozy pourrait être cet homme-là en 2012 ! – et l’arrivée concomitante sur les bancs de l’Assemblée nationale d’une majorité d’opposition. Bref, un scénario schizophrène qui, dans l’ambiance de notre pays, n’aurait rien de bien étonnant. Et c’est ce type de modèle que Jacques Attali voudrait que les étasuniens endossent pour leur plus grand bien. On croit rêver !
Le modèle le plus efficace sur le plan institutionnel n’est pourtant pas là, mais dans un mix entre le modèle britannique, pour la désignation du chef du gouvernement, et le modèle français pour des législatives au scrutin majoritaire, plus ou moins doté d’une dose de proportionnelle. Résultat : un scrutin législatif = un Premier ministre puissant et en harmonie avec la majorité du Parlement, le chef de l’État – reine ou président – n’ayant qu’un rôle de représentation et de garantie des Institutions. Pourquoi Diable Jacques Attali n’a-t-il pas fait l’éloge d’un tel modèle ? Doté d’une structure institutionnelle comme celle-ci, les États-Unis n’auraient pas connu la tragi-comédie qu’ils ont vécue autour de leur dette abyssale et de la menace d’une cessation de paiement. Quoi qu’il en soit, s’il est une certitude, c’est que les USA n’iront pas dans le sens préconisé par Jacques Attali. Comme quoi, même les plus beaux esprits peuvent parler dans le vide !