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Sarkozy, l’homme qui pétait les plombs à l’oreille des journalistes

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Mediapart et L’Express ont révélé l’incroyable coup de sang qui s’est emparé de Nicolas Sarkozy, répondant « en off » à des journalistes à propos du scandale Karachi et concluant sa saillie d’un hallucinant « Amis pédophiles, à demain ». Ce n’est pas la première fois que le chef de l’Etat perd ainsi ses nerfs, que ce soit pour se lancer dans une violente diatribe islamophobe ou pour insulter les journalistes. Ces emportements pathologiques révèlent bien une personnalité déséquilibrée, dénoncée dès avant la présidentielle. Rappel.

« Vous êtes un pédophile, j’en ai l’intime conviction, j’ai vu les services secrets mais je ne vous dirai pas lesquels, j’ai vu quelqu’un mais je ne vous dirai pas qui c’est, et c’était oral. Mais j’en ai l’intime conviction, vous êtes un pédophile ! », a donc lancé à un journaliste, selon L’Express, Nicolas Sarkozy vendredi 19 novembre – mais l’affaire n’a été révélée qu’aujourd’hui. Il était venu s’entretenir « en off » avec quelques confrères en marge du sommet de l’Otan à Lisbonne. « En off » signifie que les journalistes sont censés ne pas reprendre les propos qui leur sont tenus, ce qui donne ensuite dans la presse des formulations du type « une source proche de l’Elysée ». Mais cette fois, le pétage de plomb est si manifeste que l’hebdomadaire – dont aucun représentant n’a assisté à la scène mais qui précise sur Le Post avoir « vérifié l’information » – décide de transgresser l’interdit et sort l’information à 17 h 37 exactement, sans doute enhardi par le fait que Mediapart l’ait devancé.

Le récit est un peu plus précis : « un journaliste ose poser une question sur Karachi. Le président commence relativement calmement, reprenant presque mot pour mot le communiqué de presse envoyé précédemment par Claude Guéant  dans lequel il est dit que «Nicolas Sarkozy est victime d’une rumeur malveillante et d’allégations calomnieuses qui ne reposent sur aucun commencement de preuves». Le président ajoute que «la presse raconte n’importe quoi». Mais quand il lui est rappelé que son nom figure notamment dans des documents montrant qu’il a donné son aval à la création d’une société-écran luxembourgeoise par laquelle transitaient les commissions, il «pète les plombs» selon de nombreux journalistes présents en s’adressant à celui qui a osé lui poser la question. «Qui vous a dit ça? Vous avez eu accès au dossier ?  Charles Millon a une intime conviction. Et si moi j’ai l’intime conviction que vous êtes pédophile ? Et que je le dis en m’appuyant sur des documents que je n’ai pas vus…» «Survolté», «hors contrôle», le président ne s’arrête plus. Sa diatribe dure une dizaine de minutes, pendant lesquelles à plusieurs reprises, il reprend la comparaison. Finalement, il clôt son intervention, tourne les talons et s’en va en déclarant : «Amis pédophiles, à demain.» Les journalistes français se regardent interloqués, notamment les «journalistes diplomatiques», qui n’ont pas l’habitude des dérapages du président. Dix minutes plus tard, l’entourage de Nicolas Sarkozy revient, conscient de l’énormité du discours, et insiste lourdement: «C’était du off, rien que du off». Le micro du président était toutefois branché à une console. Plusieurs journalistes ont la possibilité de faire fuiter les sons, ils préfèreront «les écraser» : «Tout le monde est off ou personne n’est off», nous ont expliqué certains d’entre eux. » Conclusion identique chez L’Express : « La conversation a été enregistrée sur le circuit interne du sommet. Après le debriefing, l’Elysée a fortement insisté, dès lors que la conversation était off, pour que les bandes soient totalement effacées… L’Elysée qui dément les propos relatés : « Jamais le président de la République n’a insulté un journaliste en le traitant de pédophile », conteste son entourage ». Ben voyons.

[Edit : Libération a sorti le son, à écouter ici. Alors, ce démenti, hmm ?]

Il existe au moins deux précédents de manifestes pertes de contrôle présidentielles. Le premier se déroule en novembre 2007 : le journaliste de Libération Jean Quatremer, correspondant permanent du quotidien auprès de l’Union européenne à Bruxelles depuis 1990, relate sur son blog l’ahurissant comportement du Président devant la délégation des Premiers ministres irlandais puis suédois, précisant le tenir de sources particulièrement fiables : « L’histoire se raconte dans les chancelleries européennes. Nicolas Sarkozy, recevant le Premier ministre irlandais, Bertie Ahern, le 21 septembre, puis suédois, Fredrik Reinfeldt, le 3 octobre, se serait livré à une véritable diatribe anti-musulmane devant ses invités. Selon mes sources, le chef de l’Etat s’est lancé dans une diatribe confuse d’une vingtaine de minutes, «dans un langage très dur, très familier, choquant pour tout dire», contre le «trop grand nombre de musulmans présents en Europe» et leurs difficultés d’intégration. Il a aussi décrit de façon apocalyptique le «choc de civilisation» qui oppose les musulmans à l’occident. Le tout, manifestement, pour justifier son opposition à l’adhésion de la Turquie à l’Union. Mais ses interlocuteurs, qui n’en sont toujours pas revenus, ne sont même pas sûrs de l’avoir bien compris, tant le discours était décousu et surtout hors de propos avec l’objet de ces rencontres, la préparation du Sommet de Lisbonne des 18 et 19 octobre. Ils en ont, en tout cas, retiré la désagréable sensation que Sarkozy, non seulement avait un sérieux problème avec les musulmans, mais avait du mal à maîtriser ses nerfs. » Nous  jugions alors : « Les commentateurs autorisés se tuent à nous expliquer, offusqués de la comparaison, que Sarko n’a rien à voir avec Le Pen. Mais à la lecture de l’article de Quatremer, on peut tout de même se demander en quoi leurs discours diffèreraient-ils donc, tous deux en appelant de la même façon au spectre de l’islamisation ? Et puis il y a l’attitude : la confusion, l’exaltation, le langage choquant, la difficulté à maîtriser ses nerfs… Sarkozy perd complètement les pédales. Et ce n’est pas une bonne nouvelle pour la France. »

La deuxième anecdote remonte pour sa part à avril 2009, que nous relations sous le titre de Quand Sarkozy insulte les journalistes, billet que nous republions : « Les journalistes, ce sont des nullards, il faut leur cracher à la gueule, il faut leur marcher dessus, les écraser. Ce sont des bandits. Et encore, les bandits eux, ont une morale » : ainsi Nicolas Sarkozy, ce parangon de morale, s’est-il exprimé le 18 mars dernier, à en croire le Canard enchaîné, devant les dirigeants de la majorité. Ses propos avaient d’abord été rapportés en version tronquée dans l’édition du 25 mars. Le journal livre la totalité de la citation dans son numéro d’hier. Cause de la fureur du président : le traitement médiatique de la partie privée de son séjour au Mexique, où il avait été invité par un banquier soupçonné de blanchiment de l’argent de la drogue. Faute aggravée par un mensonge : l’Elysée avait obstinément prétendu être l’hôte du président mexicain. Voilà le crime des journalistes : ne pas avoir gobé toute crue la communication présidentielle mais avoir enquêté pour faire émerger la vérité. Quel toupet ! Malgré ses tentatives de faire main basse sur les médias, comme le résume la couverture de Marianne, Sarkozy ne parvient toujours pas à empêcher certains journalistes de continuer à faire leur travail. Comment osent-ils ainsi contrarier sa Majesté ? De là à déclencher une telle éructation… On tremble en pensant que ce qui fait office de chef de l’Etat soit ainsi capable de déverser un tombereau d’insultes sur la corporation entière chargée d’informer l’opinion. Avec un tel individu à la tête de la République, la liberté de la presse, pourtant garantie par la constitution, n’a qu’à bien se tenir. » Nous ne croyions pas si bien dire : voilà comment on en arrive, en novembre 2010, à ce que l’Elysée fasse espionner les journalistes ! Au-delà du problème spécifique de la liberté de la presse, cette faculté que possède Sarkozy à s’emporter et se lancer dans des discours incendiaires révèle parfaitement ce que nous dénoncions dès la campagne présidentielle, menant le débat sur la personnalité de l’homme.

Notre article d’avril 2007, « Diabolisation », s’offusquent-ils !, prend ainsi une singulière actualité : « Sarkozy est déséquilibré. Ça arrangerait la droite d’escamoter le débat sur la personnalité de son candidat. Or c’est bien un élément fondamental à prendre en compte, au moment de choisir le président de la république ! Que nous disent d’innombrables témoignages, y compris venant de son propre camp, illustrés par quantité d’anecdotes ? Que Sarkozy est ultra nerveux, irrascible, qu’il pète fréquemment les plombs, s’emporte avec violence sitôt qu’on le contrarie ou le contredit, incapable de se contrôler. Il insulte et menace un ministre de lui « casser la gueule« , tempête, à propos de l’affaire Clearstream, qu’il souhaite Villepin pendu à « un croc de boucher » – l’image n’est pas anodine, c’est ainsi que périt Mussolini ! Totalement tourné vers lui-même, souffrant d’une hypertrophie de l’ego, il ne supporte pas que quiconque se dresse en travers de sa route. Demandez à Nicolas Dupont-Aignan ce qu’il pense de la pratique démocratique du président de l’UMP ! Sa prise à la hussarde du parti majoritaire et le laminage impitoyable de toute opposition interne l’illustre à point. Ombrageux, susceptible… et mégalomane : n’a-t-il pas évoqué le sacre de Napoléon à propos de son investiture pharaonique de la porte de Versailles ? Alors non, on ne peut faire comme si le tempérament de Sarkozy ne comptait pour rien, en ce qu’il recèle de potentiellement explosif, qui aggrave l’ensemble des reproches qu’on peut lui faire par ailleurs. Le futur ex-président Chirac, qui le soutient pourtant officiellement, juge ainsi que confier le pouvoir à cet homme-là revient à « organiser une barbecue party en plein été dans l’Estérel », et l’ancien ministre délégué à l’Enseignement supérieur et à la Recherche, François Goulard, rallié à Bayrou, décrit ainsi sa personnalité : « Son égotisme, son obsession du moi lui tient lieu de pensée. La critique équivaut pour lui à une déclaration de guerre qui ne peut se terminer que par la reddition, l’achat ou la mort de l’adversaire. (…) Chirac, lui, a le souci des autres, de l’homme. Sarko écrase tout sur son passage. Si les Français savaient vraiment qui il est, il n’y en a pas 5% qui voteraient pour lui », comme le relève l’hebdomadaire Marianne dans son dossier Le vrai Sarkozy. Goulard vient pourtant d’annoncer qu’il votera Sarkozy au second tour ! La phrase clé du réquisitoire du journal de Jean-François Kahn : « Le problème Sarkozy, vérité interdite, est ailleurs. Ce que même la gauche étouffe, pour rester sagement confinée dans la confortable bipolarité d’un débat hémiplégique, c’est ce constat indicible : cet homme, quelque part, est fou ! Et aussi fragile. Et la nature même de sa folie est de celle qui servit de carburant, dans le passé, à bien des apprentis dictateurs ». Diabolisation ? « Accusation un peu commode pour dissimuler une facette si exorbitante du candidat UMP », concluions-nous alors. Nous ne retranchons pas une ligne.

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